Où va la France ?
- magazine : Médiapart
- numero : 2012082 - 2012
- date : 01 août 2012
- catégorie : Monde & société
Sommaire
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Les raisons d’un titre
Disparu le 7 juin 2011, Jorge Semprun n’aura pu être témoin de la victoire, un an
plus tard, de la gauche socialiste à l’élection présidentielle française. Dans les
dernières années de sa vie, ce grand d’Espagne (républicaine) qu’on peine à
réduire à son statut d’écrivain, tant sa vie de résistant, de militant, de scénariste,
de romancier et de politique fut autrement riche, rêvait d’un livre qu’il n’eut pas
le temps d’écrire. Il devait s’appeler Où va la France ?, en clin d’oeil à un recueil
d’articles ainsi intitulé de Léon Trotsky, le prophète désarmé et exilé de la
révolution russe, paru en 1936 en plein Front populaire. -
La faillite d’un système
Les journalistes devraient être interdits de dire l’avenir. Empêchés de
prédictions, de pronostics ou de scénarios futuristes. Il suffit déjà qu’ils
s’occupent avec soin du présent, encombré de passé. -
Guéant le barbare
« Toutes les civilisations ne se valent pas », a donc déclaré en 2012 un ministre
de la République, évoquant des civilisations « plus avancées » que d’autres ou
« supérieures » à d’autres. Avant de préciser que « ce qui est en cause, c’est la
religion musulmane ». Un député de la Nation lui a répondu que c’était « une
injure faite à l’homme », sur le fumier de laquelle avaient poussé ces
« idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de
concentration ». Face à l’ignominie proférée par ce ministre, Claude Guéant, ce
député, Serge Letchimy, a sauvé notre honneur. -
L’espoir et l’inquiétude
Il ne suffira pas de tourner la page Sarkozy pour se débarrasser de tout ce qu’il
laissera en héritage : tout ce dont il est le produit et tout ce qu’il a détruit.
L’enjeu de cette élection présidentielle dépasse la seule sanction d’un homme au
bilan désastreux : saurons-nous, tous ensemble, en ces temps de périls et
d’incertitudes, relever la France du marécage où elle est embourbée ? Sauronsnous
saisir cette occasion historique : transformer une alternance électorale en
alternative démocratique ? -
La politique de la peur
Une haine meurtrière défie la France, sa République et sa campagne
présidentielle. Précédée des meurtres de militaires à Toulouse et Montauban, la
tuerie antisémite de Toulouse est peut-être l’oeuvre d’un fou. Mais, dans ce cas,
sa folie est d’époque. D’une époque où l’on s’habitue à diviser l’humanité plutôt
qu’à la rassembler, où l’on attise les violences plutôt que d’apaiser la société. Et
c’est cette folie qu’il importe de conjurer d’urgence, en convoquant la raison
contre la peur et la fraternité contre la haine. -
L’affaire Sarkozy
L’incarcération de l’ex-chargé d’affaires de la très fortunée Liliane Bettencourt a
brusquement souligné l’enjeu vital d’une réélection pour Nicolas Sarkozy :
échapper aux juges grâce à l’immunité judiciaire du président de la République.
Jamais un président sortant, dès son premier mandat, n’a été cerné par autant
d’affaires dont l’argent est le seul ressort, entre financement politique et
enrichissement personnel. Inventaire en forme d’alerte civique. -
Alarme, citoyens !
Après l’alerte du 21 avril 2002, l’alarme du 22 avril 2012. Loin de la réduire,
l’indolence de Jacques Chirac puis la virulence de Nicolas Sarkozy ont alourdi
l’hypothèque de l’extrême droite sur la vie publique française. Que la
progression des idées et des voix du Front national soit à porter au débit des dix
années de pouvoir sans partage de la droite à l’Elysée, au gouvernement et au
Parlement, c’est l’évidence. Mais que la gauche ne saurait s’en satisfaire en est
une autre. Car le défi qui l’attend est d’autant plus immense : relever la France
d’une déchéance politique annoncée, en refondant une République
authentiquement démocratique et sociale. -
Maintenant, François Hollande
La France tourne la page Nicolas Sarkozy, et c’est heureux. Mais la victoire de
François Hollande est fragile parce que courte, malgré une radicalisation
xénophobe de la droite qui appelait un vaste sursaut républicain. C’est pourquoi
le temps est déjà compté : il faut agir, agir vite et nettement, afin de créer cette
dynamique démocratique et sociale sans laquelle le changement ne peut susciter
l’adhésion et la confiance. Invitation à l’action en forme d’adresse au nouveau
président de la République. -
Nous sommes tous des Grecs
En Grèce se joue l’avenir commun des peuples européens : non seulement celui
de nos économies, mais celui de nos démocraties. Les Grecs ne sont pas
responsables d’une crise produite par l’aveuglement d’une Europe ayant
abandonné la politique pour la finance. Si la solidarité avec le peuple grec
s’impose, c’est parce qu’elle est la condition préalable d’un changement
véritable. La guerre d’Espagne fut l’épreuve européenne du Front populaire, la
crise grecque est celle de la présidence Hollande. -
Le changement, c’est au Parlement
S’il fallait une énième preuve des déséquilibres démocratiques du
présidentialisme français et des renoncements auxquels ils nous ont habitués, la
campagne électorale législative nous l’a fourni. L’enjeu du scrutin s’est
rapidement réduit à la confirmation parlementaire de la victoire du président élu,
François Hollande. Or, plutôt qu’une majorité présidentielle dominée par le PS,
c’est une majorité du changement, pluraliste et diverse, des écologistes au Front
de gauche, qui aurait garanti son approfondissement par le rééquilibrage du
pouvoir. -
Pour en finir avec la première dame
L’affaire Trierweiler n’est pas anecdotique mais bien politique : elle témoigne de
la privatisation de l’espace public qui accompagne la publicisation du privé. La
journaliste prétend arbitrer les querelles socialistes, en faisant valoir ses
préférences et ses détestations. Mais, ni militante ni élue, sans engagement
partisan connu, elle n’a aucun titre pour le faire, sinon d’être la compagne de
François Hollande. Nous n’avons pas élu un couple, mais un président, et un
seul, qui doit rétablir la frontière entre fonctions publiques et vies privées. Sauf à
poursuivre un sarkozysme sans Sarkozy, avec ses conflits d’intérêts et ses
mélanges des genres. Et à connaître le même désaveu. -
Vers une fraternité franco-algérienne
« Il est temps de se tendre la main » : ce sont les derniers mots du livre le plus
inattendu suscité par le cinquantième anniversaire de l’indépendance de
l’Algérie, proclamée le 5 juillet 1962 dans la foulée des accords d’Evian du 18
mars 1962 et mettant un terme final à 132 ans de colonisation française. Nos
pères ennemis(Privat) est un livre à deux voix, croisées et emmêlées dans une
conversation en forme de réconciliation, celle de Hélène Erlingsen-Creste et
celle de Mohamed Zerouki. L’une est fille d’un militaire français tué en 1958
lors d’une embuscade, l’autre est fils d’un martyr de la cause indépendantiste,
disparu en 1959 dans la même région de l’ouest algérien. -
Monsieur le président, où est le rêve ?
Lançant sa campagne présidentielle au Bourget, en Seine-Saint-Denis, le 22
janvier, François Hollande promettait de commencer « par le rêve », condition
pour que la gauche n’échoue pas, une fois encore, face à son adversaire de
toujours, « le monde de la finance ». Deux mois après son installation à l’Elysée,
le 15 mai, c’est l’évocation de ce « rêve français » qui semble tenir d’un
éphémère rêve électoral. Au-delà d’un apaisement démocratique bienvenu après
une décennie marquée par l’hystérie sarkozyste, aucun signal fort n’a été donné
par le nouveau pouvoir socialiste, son président, son gouvernement et sa
majorité, dans le sens d’une radicale refondation républicaine autour des idéaux
de justice et d’égalité.