Presse
Jaquette Voix

Voix

  • magazine : Espace
  • numero : 131 - 2022
  • date : 31 mai 2022
  • catégorie : Culture & arts

Sommaire

  • Poétique de la voix

    Dans un texte intitulé Der Erzhäler, traduit en français par Le conteur1, le philosophe Walter Benjamin (1892-1940) avance une thèse étonnante à propos de l’expérience et de la sagesse. S’appuyant sur l’oeuvre du conteur russe Nikolaï Leskov (1831-1895), Benjamin émet l’hypothèse suivante : «L’art de conter est en train de se perdre. » Il se perd, suggère-t-il, parce que « la faculté d’échanger des expériences », de transmettre par la voix une sagesse est de moins en moins communicable. Au dire de ce penseur, ce qui nuit à l’art de conter des histoires et à la tradition orale, ce sont principalement les « progrès de l’information ». Condamnée à décrire la réalité la plus immédiate, l’information se détourne du merveilleux, des « histoires remarquables ». Écrit en Allemagne, au début de la Seconde Guerre mondiale, alors que l’usage de la voix, amplifiée par les microphones, devient un instrument inouï capable de galvaniser une masse d’individus, cet essai de Benjamin suggère aussi que le récit, « forme artisanale de la communication », doit trouver au sein de la modernité un nouveau souffle.

    par André-Louis Paré
  • L’art de donner la parole

    L’armation de voix singulières au sein d’échanges collectifs ne va pas de soi. Les discussions publiques sont souvent articulées autour d’impératifs de visibilité plus ou moins conscients qui sont liés à diérents enjeux de pouvoir. Les tables rondes, discussions et conférences sont des formes couramment associées à la transmission du savoir scientifique, dont l’autorité s’appuie sur le langage à travers une rhétorique d’une apparente neutralité. En opposition, le recours à la parole comme médium artistique met en évidence la dimension performative de cet acte de langage.

    par Véronique Hudon
  • Entendre les voix : la justice dans le travail de Susan Philipsz et Sharon Hayes

    La voix dépasse une sensation singulière et appelle à l’unification du corps et de l’esprit, car elle possède le potentiel d’une reconnaissance concrète. Une voix n’a pas besoin d’être sonore, mais elle doit être reçue afin de se matérialiser pleinement, car une fois que nous recevons la voix de l’autre, nous reconnaissons la présence de l’être. Ne vous méprenez pas, ce n’est pas que les êtres ne sont pas présents tant qu’ils ne sont pas reconnus, mais plus précisément que notre échec à considérer leur présence représente
    un manque.

    par Jake Moore
  • Témoignage, silence et chant

    La représentation de la souffrance agit dans l’espace entre la blessure et le bien-être. Les efforts de représentation sont tiraillés entre l’impératif de connaître et l’impossibilité d’éprouver la douleur d’autrui : la représentation ne peut pas transmettre la douleur, mais doit susciter un désir de la comprendre. Au cinéma, cette activation d’une recherche imaginaire chez le spectateur peut conduire à une interrogation sur la propension de distanciation du médium cinématographique. La souffrance est projetée sur un écran qui peut devenir barrière plutôt que portail. Les images peuvent ne conserver qu’une trace spectrale de ce qu’elles dépeignent, et pour que le spectateur ne reste pas qu’un voyeur muet de la souffrance d’autrui, une proximité perceptive compensatoire doit s’établir. Reste à savoir si la voix souffrante peut amplifier l’image afin de transcender les artifices de la représentation et instaurer une certaine proximité incarnée avec la souffrance.

    par Paul Grace
  • Tremble Staves : tendre l’oreille au voix de l’eau

    Le compositeur navajo Raven Chacon a créé l’oeuvre Tremble Staves,
    une pièce performative où guitariste, percussionnistes, narratrice et spectacteur·rice·s convergent dans un lieu en ruines auprès d’une grande étendue d’eau. En 2019, la partition a été interprétée sur le site des bains Sutro au bord du golfe des Farallones. L’environnement favorisait un dialogue entre eaux vives et eaux stagnantes, entre public et interprètes, entre savoirs autochtones et expériences artistiques.

    par Joëlle Dubé
  • Images-témoins et spéculation chez Sanaz Sohrabi, Fanny Latreille et Simon Belleau

    Depuis l’émergence de l’art archivistique, vers les années 1990,
    les artistes ne cessent de chercher de nouvelles formes d’engagement
    avec les sources documentaires. À cet égard, le développement d’un
    champ de pratique artistique associé au reenactment répond à une
    volonté de « rejouer l’histoire pour en interroger ses processus de
    fabrication, ses généalogies et le pouvoir de ses représentations. » Cette notion de « rejouer» semble a priori impliquer la référence
    à un modèle, ou un original, mais cette relation de simulacre ne va
    pourtant pas de soi, et les décalages introduits par les artistes
    participent à une réécriture de l’histoire incarnée.

    par Emmanuelle Choquette
  • Écouter pour voir

    La voix humaine est d’abord uniquement audible. Elle ne se voit pas,
    elle s’entend. Elle s’extériorise grâce au souÌe émis par les poumons et s’exprime grâce au larynx et aux cordes vocales. La voix, ou plutôt les voix, en plus de manifester des émotions, permet de communiquer des idées, de raconter des histoires. Parfois, sous forme de légendes, ces histoires tissent des liens avec un passé où réalité et imagination se confondent. C’est aussi à travers ce langage articulé, où son et sens s’associent, que la voix se fait fréquemment entendre.

    par André-Louis Paré
  • L’arrêt de la voix. Entretien avec Jérémis Nicolas

    Réalisée dans le cadre de sa thèse en recherche-création, l’installation sonore de Jérémie Nicolas met en oeuvre les silences qui ponctuent le(s ?) témoignage(s) de harkis. Ces Algériens engagés, volontaires ou contraints par les circonstances, aux côtés de l’armée française durant la guerre d’indépendance (1954-1962), ont ajouté à l’horreur de la guerre la violence du rejet qui en a suivi, ayant été à la fois exclus dans leur pays et abandonnés par la France. La suspension de leur parole, leurs hésitations ou leurs incapacités à dire sont ici amplifiées et composées, données à entendre comme des événements musicaux en soi, qui font résonner autrement l’Histoire.

    par Florian Gaité
  • Opacité vocale

    La voix est omniprésente dans mon travail qui éprouve la mutation
    du corps performatif à travers ses médiations sonores, textuelles et
    visuelles. Si la voix est un instrument intimement lié au corps qui
    représente un point d’articulation fertile entre la corporéité et le son, elle performe également une altération de la source organique qui devient ondes sonores. En eet, la voix qui s’échappe du corps devient une entité spectrale qui occulte son origine pour être entendue par d’autres corps animés ou inanimés comme des microphones, entre autres.

    par Alexandre St-Onge
  • Af-Flux: Biennale Transnationale Noire Le monde bossale / The Bossale World

    Seen from the sidewalk, through gallery Art Mûr’s windowfront, Philipe Thomarel’s acrylic painting Pontif 31 (2021) sets a sombre tone. Imposing in scale, the cloudy scene of a shadowy bridge over tumultuous water emanates a stormy aect. Stapled directly onto the gallery wall, the canvas appears rough, worked over and raw. Streaks of black paint drip down the surface of the image, breaking up the landscape structure to create fluid energy. This moving piece, depicting a human-made structure over troubled waters, is an invitation into the natural world. To follow the bridge into a sea of froth, clouds, and mist feels like both an act of trust and a promise of untold journeys.

    par Didier Morelli
  • 17e édition de la Biennale de l’Image en Mouvement : “A Goodbye Letter, a Love Call, a Wake-Up Song ”

    Après une édition annulée, la Biennale de l’Image en mouvement (BIM) revient dans le grand fracas du monde. Andrea Bellini, directeur des lieux, a invité DIS, l’un des collectifs commissarials parmi les plus erontés de la création artistique contemporaine, pour concevoir ensemble cette 17e édition au Centre d’Art Contemporain (CAC) de Genève.

    par Joan Grandjean
  • BGL: Two Thumbs Up Arts and Crafts

    For twenty-five years, the Québec-based artist collective BGL (Jasmin Bilodeau, Sébastien Giguère, Nicolas Laverdière) have been making sculptures that push the boundaries of the medium, of the institutions in which they exhibit, and the art world that provides their context. Along the way, audiences have been enthusiastic participants in their joyous, serious, beautiful, and ultimately, thoroughly engaging installations and exhibitions. That BGL leave no one, and no thing behind, is apparent in their recent exhibition Two Thumbs Up Arts and Crafts.

    par Ray Cronin
  • ’’How long does it take for one voice to reach another?’’

    As visitors walk up to the group exhibition “How long does it take for one voice to reach another?” on the third floor of the Montreal Museum of Fine Arts, Betty Goodwin’s enormous Triptych may escape notice entirely. The three-part sculpture, permanently installed in 1991 for the inauguration of the Jean-Noël Desmarais Pavilion, is comprised of a giant bronze ear facing, on the opposite wall, a reflective metal structure in the shape of a megaphone. And below this, all the way down to the basement level, are lines of text in large stainless-steel letters embedded in the ground.

    par Julia Eilers Smith
  • Postcommodity: Time Holds All the Answers

    Time Holds All the Answers begins with the relations and the lands that form its actuality not its context. This is the largest exhibition to date that Postcommodity has undertaken, the interdisciplinary art collective currently comprised of Kade L. Twist, a member of the Cherokee Nation, and Cristóbal Martínez, Mestizo of Genizaro, Pueblo, Manito, and Chicano heritage. Dr. Gerald McMaster curated and produced the exhibition through his Wapatah Centre for Indigenous Visual Knowledge.

    par Jake Moore
  • Alexandra Bircken : Fair Game

    S’introduire dans l’installation monumentale Fair Game d’Alexandra
    Bircken, présentée dans la chauµerie (Kesselhaus) du centre pour les
    arts contemporains KINDL, à Berlin, c’est comme ouvrir la première
    page d’un polar. Un genre qui a d’ailleurs fait la marque de cette artiste allemande aguerrie formée comme styliste au Central St. Martins College of Art and Design de Londres, au début des années 1990, et qui partage maintenant sa vie et son travail entre les villes de Berlin et de Munich.

    par Amélie Laurence Fortin
  • L’énigme autodidacte

    Penser l’autodidaxie en art, de nos jours, c’est presque exclusivement se référer à des pratiques labellisées « art brut » ou art « outsider», s’intéresser aux marges, aux intentionnalités complexes, et ce, jusqu’à pratiquer des analyses quasi psychiatriques. C’est aussi ce que l’exposition, commissariée par l’historienne de l’art Charlotte Laubard, fait avec subtilité, tout en invitant dans la conversation, et c’est sa grande originalité, des artistes considéré·e·s professionnel·le·s par le marché et les institutions, selon une logique qui interroge l’incidence des pairs, ces critiques d’art qui font de quelques autodidactes de « parfaits » artistes.

    par Bénédicte Ramade
  • Chris Boyne : A. Conveyor

    Si l’intérêt de l’artiste interdisciplinaire Chris Boyne pour le domaine maritime a déjà été démontré, cette installation présentée chez Skol met plus précisément à jour des réflexions socio-économiques par la mise en espace d’artefacts d’un cargo démantelé. Comme pour chacune de ses missions, l’artiste a d’abord déterminé les paramètres d’un protocole de recherche et de réalisation à la base de cette oeuvre conceptuelle. Il a ici pour objectif d’examiner le processus de démantèlement de navires en retraçant le parcours de l’Atlantic Conveyor.

    par Élisabeth Recurt
  • Mindy Yan Miller : seeing and not seeing and other recent work

    Mindy Yan Miller is a Saskatchewan/Montréal-based artist whose fiber work centres on themes of commodification, labor, and loss. Her practice is to create installations, using found materials such as used clothing, human hair, coke cans, and more recently cowhides. Her exhibition at Montréal’s Produit Rien, curated by Andrew Forster, combines her recent projects entitled seeing and not seeing (2018), made of cowhides and plexiglass, with Mother and Child (2016) and Portal (2019). The work leads the viewer through a space of grief, engaging one in somatic experiences of repulsion and attraction, softness and hardness, invitation and warning, as well as presence and absence. It makes one feel uncomfortable: rather than resisting or classifying discomfort, it embraces complexity.

    par Amanda Lou
  • Adam Basanta : Futurs possibles

    La palette des possibles pour Adam Basanta semble large. Très large.
    Les machines et les objets qu’il expose témoignent de cette capacité à imaginer comment la technicité inhérente à notre actuel mode de vie peut, lorsque mise en relation avec des objets et des processus inattendus, mettre au jour, sur un mode ludique qui les revitalise, des enjeux très profonds. Basanta excelle à suggérer des dispositifs, ou à évoquer dans la teneur des travaux présentés — je pense ici à Landscape Past Future, montrée une première fois à la galerie Ellephant (Montréal), à l’automne 2019 —, des énergies révélatrices de la nature de notre mode actuel de fonctionnement.

    par Sylvain Campeau
  • Ubuntu, un rêve lucide

    « Ici nous portons tous les rêves du monde». Sur la façade du Palais de Tokyo, le néon de Joël Andrianomearisoa, inspiré d’un poème de Fernando Pessoa, appelle à la puissance subversive des rêves diurnes et de la philosophie ubuntu, terme issu des langues bantoues du sud de l’Afrique, qui pourrait signifier «Je suis parce que nous sommes ». Rassemblant une vingtaine d’artistes issus du continent africain et de ses diasporas, pour la plupart rarement présentés en France, l’exposition Ubuntu, un rêve lucide invite à investir la charge émotionnelle de cette « pensée du possible et de la réciprocité », à « faire humanité ensemble et ensemble habiter le monde1 ». Décentrer les regards, décoloniser les imaginaires en ces temps de replis, d’injustice sociale, d’inégalité, de violences systémiques, oeuvrer à la co-construction de devenirs communs irrigue ainsi la réflexion de la commissaire Marie-Ann Yemsi.

    par Marie Siguier
  • Alexia Laferté Coutu : Sanatoriums

    L’artiste Alexia Laferté Coutu présente, à Occurrence, Sanatoriums,
    sa plus récente exposition qui se consacre aux traces et aux cicatrices laissées dans la société à même les surfaces d’architectures historiques. Notre quotidien, en raison des normes sanitaires imposées depuis le printemps 2020, est maintenant marqué par la distanciation et l’isolation. À travers des intervalles de mesures sanitaires, nous arpentons autrement ce qui nous entoure. Nous observons diµéremment les stigmates laissés par le vide.

    par Jean-Michel Quirion
  • Les yeux dans l’eau

    Alors que l’avenir écologique et la souveraineté de l’eau demeurent
    des préoccupations phares de notre époque, la Galerie d’art Foreman
    présente Les yeux dans l’eau, exposition comportant également un second volet au Centre en art actuel Sporobole. Commissarié par l’autrice et commissaire indépendante Geneviève Wallen, ce projet réunit, à la galerie Foreman, le travail de quatre artistes québécoises et canadiennes : Tania Love, Maude Deslauriers, Gaëlle Elma et Kelly Jaclynn Andres.

    par Ariel Rondeau

A propos du magazine

Espace
Espace ESPACE art actuel présente et analyse les pratiques artistiques du domaine de la sculpture, de l’installation ou de toute autre forme d’art associée à la spatialité. Ses dossiers thématiques soulèvent divers enjeux esthétiques, politiques ou philosophiques. ESPACE s’avère un outil de réflexion et de compréhension indispensable pour qui veut se familiariser avec la situation de l’art au sein d’un univers culturel en pleine mutation. Ses chroniques, notamment «Art public et pratiques urbaines», ses entretiens, ses comptes rendus d’exposition et de livres, offrent aux lecteurs de multiples perspectives sur la spécificité de l’art actuel. Avec une mise en page soignée et des textes accessibles, mais rigoureux, la revue est majoritairement bilingue (Français et Anglais) et se veut l’unique revue favorisant les pratiques artistiques ayant pour enjeux la notion d’espace.

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